Interview de Michael Peiffert et FibreTigre – Out There

Le jeudi 27 février sortait Out There, une aventure spatiale sombre et mélancolique, comme aiment la qualifier ses développeurs Michael Peiffert et FibreTigre. J’ai toujours été passionné par la démarche des indépendants, autant que par les grandes épopées interstellaires, j’ai donc suivi l’avancée de ce projet avec attention. Et comme le résultat est somptueux, je vous propose d’en savoir un peu plus sur la génèse du jeu à travers cette rencontre avec les deux principaux intéressés. Vitesse lumière.


Dans Out There, le héros cherche à rentrer sur Terre après l’accident qui l’a mis à la dérive. Finalement, on le sent bien plus intéressé par l’exploration de ce nouveau monde que par son objectif initial. Quelle est selon-vous la meilleure façon de jouer : aller droit au but ou jouer les explorateurs un peu zélés ?

FibreTigre : L’espace est un endroit qui, même sans laser ou aliens belliqueux, est terriblement hostile. Il faut donc être très prudent, sachant que chaque décision aura un impact et que si elle est bien réfléchie, elle peut vous amener à atteindre vos objectifs.

Dites-moi si je me trompe, mais le déroulement de l’aventure et les différents choix offerts au joueur rappellent les livres dont vous êtes le héros que je lisais dans les années 90. Est-ce qu’il s’agit de l’une de vos influences en matière de narration et de chapitrage du récit ?

FibreTigre : C’est ma spécialité. Même si un livre jeu est, sauf quelques exceptions, une histoire linéaire et là nous avons une structure « objet » ou « épisodique ».

Cette contrainte a-t-elle été difficile à surmonter dans le processus d’écriture, alors même que l’histoire, quelle que soit la partie, garde une vraie cohérence aux yeux du joueur ?

FibreTigre : La difficulté a été moins la conception technique des aventures interactives que leur rédaction. Le jeu présente une structure comme une saison de Star Trek : un arc narratif global qui supporte une série d’épisodes indépendants. La difficulté est surtout dans la rédaction des aventures proprement dites, car le héros devait être seul, donc cela excluait des histoires avec des empires aliens ou des autres humains, et les aventures « relativement » réalistes – confrontations avec trou noirs, nébuleuses, comètes, etc. Pour se renouveler et maintenir l’attention, c’était difficile.

Screenshot de Out There (iPad)

L’aléatoire est au cœur du gameplay, que ça soit dans la création du monde en début d’aventure, dans les ressources qui composent chaque planète, ou dans les avaries matériel… Ne craignez-vous pas que les injustices qui peuvent en découler ne découragent certains joueurs ?

FibreTigre : Ce n’est pas injuste car c’est une règle : vous savez que vous allez vous prendre des dommages en orbitant une planète gazeuse. Vous êtes prévenu par le jeu, on vous demande une confirmation. Et que votre vaisseau soit très faible ou très puissant, vous serez traité à la même enseigne. Le jeu n’est donc pas injuste. En revanche, si plus votre vaisseau était puissant, plus les actions faisaient perdre de la puissance, là, le jeu serait injuste. Mais ce n’est pas le cas. Par ailleurs, oui, il y a de l’aléatoire, mais l’aléatoire se lisse sur le nombre d’étoiles parcourues à chaque partie et le nombre de parties.

Bien que l’on puisse occasionnellement et aléatoirement transporter plus d’équipement ou de minéraux, on est très vite en manque de place dans sa navette spatiale. Cette restriction n’empêchera-t-elle pas le joueur de mettre à profit toutes les technologies qu’il aura découverte ?

FibreTigre : Bien entendu, mais le but n’est pas de « tout avoir ». En fait Out There est presque comme un jeu de poker – en excluant la dimension psychologique – : les cartes sont distribuées aléatoirement entre tous les joueurs mais les meilleurs joueurs gagnent quand même. Parce on vous donne des cartes en début de partie, et parfois c’est une main très désavantageuse, mais vous savez en tirer le meilleur parti. Le héros n’est pas voué à devenir un seigneur tout puissant de l’espace, il doit, comme Ulysse, faire appel à sa ruse avant de faire appel à ses outils.

Après une semaine de jeu intensif, je découvre encore pas mal de petites subtilités de gameplay absentes du didacticiel, subtilités que je me garderai d’évoquer ici. Avez-vous en tête de futures améliorations qui viendraient enrichir l’expérience de jeu dans des mises à jour futures ?

Michael Peiffert : Nous avons beaucoup d’idées de gameplay et d’améliorations en stock. Je ne peux pas encore en parler mais nous ferons des mises à jour régulières avec du nouveau contenu et nous allons aussi écouter le retour des joueurs.

Screenshot de Out There (iPad)

On a souvent pour habitude d’éradiquer les aliens dans les jeux vidéo, alors que le rêve de l’Homme serait bien au contraire de trouver de la vie sur Mars et ailleurs. Finalement, Out There ne propose aucun combat. Pour ma part, j’ai même systématiquement évité de forer leurs planètes, alors que j’aurais pu. Ce pacifisme, c’est un choix assumé depuis le début ?

FibreTigre : Oui, ce qui est intéressant c’est que vous êtes néanmoins obligé par le jeu de forer leurs planètes. Et vous devrez peut-être même éradiquer la vie de systèmes solaires pour des raisons pratiques. Le jeu ne vous jugera pas. Mais en retour vous aurez de la difficulté à dire « je ne fais que subir des injustices ! ». Concernant le pacifisme, c’est complètement assumé. Out There veut vous faire ressentir une forme de solitude. Or les affrontements sont une forme très sophistiquée d’interaction.

La bande originale contribue aussi à cette sérénité toute relative. Parlez-moi de votre collaboration avec le compositeur d’Antichamber, Siddhartha Barnhoorn.

Michael Peiffert : Siddhartha nous a contacté après avoir vu le premier teaser. Il m’a simplement dit : « je veux faire la musique de votre jeu » en accompagnant son email d’une première maquette. Cette dernière nous a convaincu à la première écoute. Lorsque j’ai réalisé qu’il avait fait la musique d’Antichamber, notre décision de travailler avec lui fut immédiate.

Artistiquement, on sent pas mal d’inspirations américaines, japonaises aussi, probablement issues des comics et des animés du genre. Avez-vous des références incontournables qui ont permis d’aboutir à cette identité visuelle ?

Michael Peiffert : Oui en effet, mon style est inspiré des pulp comics pour le trait au pinceau un peu naïf et des anime pour la mise en couleur kitsch. Le mélange donne quelque chose de très sombre mais fascinant. Exactement l’ambiance que l’on voulait donner au jeu.

Screenshot de Out There (iPad)

Out There est votre premier jeu. Vous avez tous les deux des savoir-faire qui vous sont propres, et j’ai cru comprendre que vous n’aviez pas travaillé ensemble physiquement. Comment avez-vous appréhendé le développement, comment avez-vous créé la synergie nécessaire à l’accomplissement d’un tel projet ?

Michael Peiffert : On a très vite trouvé nos marques pour l’avancement du projet car nous somme complémentaires dans nos compétences. J’ai trouvé ça beaucoup plus agréable de travailler à deux. Car sur mon premier jeu, Space Disorder, je portais le projet seul et il n’y avait personne pour me rebooster dans les moments difficiles. Ce que j’ai préféré, c’est nos coups de téléphone quotidiens où l’on discutait de nos idées sur Out There pendant des heures.

À l’heure où Flappy Bird fait le tour de tous les smartphones en quelques jours seulement, vous sortez un jeu original qui, j’imagine, a demandé des heures d’investissement et un peu d’argent. En 2014, faut-il être fou pour essayer d’innover ?

Michael Peiffert : Pour moi, ne pas innover n’est pas une option. Le succès de Flappy Bird a surpris tout le monde et son créateur le premier. Dire qu’on va devenir riche en faisant un clone de Flappy Bird ou Angry Bird est un pari encore plus fou que d’essayer de gagner au loto. Car il y a des milliers d’autres personnes qui vont faire comme vous. Notre jeu propose une expérience unique sur mobile, et c’est ce qui nous a permis de tirer notre épingle du jeu.

Quelle serait la meilleure des reconnaissances selon-vous ? Un succès populaire qui s’essouffle rapidement, ou un succès plus modeste auprès d’une niche de joueurs passionnés, qui joueront encore à Out There dans 3 ans ?

FibreTigre : Je pense que nous avons déjà eu de la reconnaissance. Pas trop en France, malheureusement. En avril dernier Rock Paper Shotgun nous avait déjà sélectionné et offert un stand sur Rezzed. Depuis nous avons eu pas mal de journalistes étrangers, des YouTubers et leurs auditeurs qui suivent notre actualité et jouent au jeu, nous en disent du bien. Nous espérons gagner suffisamment d’argent pour pouvoir faire un autre jeu, mais pour ces raisons, sur le plan de la reconnaissance, Out There nous a déjà offert plus que nous aurions osé imaginer il y a un an.

Michael Peiffert : Ray Muzyka, le co-fondateur de Bioware, et Gavin Carter, producteur de Halo 4, Fallout 3, Oblivion et Morrowind, ont adoré Out There. Que demander de plus ?

2 commentaires

  1. Chouette interview, très intéressante et merci aux deux développeurs pour ce jeu bien sympathique. Je n’apprécie pas beaucoup de jouer sur smartphone habituellement mais là j’avoue avoir été agréablement surprise par ce soft. 😉

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