Le fantasme de l’indépendance

Comme une douleur enfouie qui se réveille subitement, impossible ces dernières semaines de passer à côté des revendications et des petits commentaires satiriques sur la relation douteuse qui sévit depuis des années entre les éditeurs de jeux vidéo et les journalistes supposés apporter un regard éclairé sur leur actualité et la qualité de leurs projets. Difficile de résister à l’envie d’y mettre mon grain de sel tant le débat est fade et vain.


Le traitement du sujet par Daniel Schneidermann et l’équipe d’Arrêt sur Images partait d’une bonne intention. Pointer du doigt la mince frontière qu’il reste entre contenu éditorial et publicitaire chez certains ainsi que les petits à-côtés rémunérés chez les autres est louable, surtout quand les principaux concernés sont invités à mettre le nez dans leur propre panade. Mais quand Gameblog, Gamekult, Canard PC et Usul, étrange unique représentant de Jeuxvideo.com pour qui il ne publie qu’une chronique hebdomadaire, dénoncent leurs dérapages mutuels et défendent leur prétendue indépendance à grands coups d’exemples bien choisis, on se demande qui est sorti grandi de ce sinistre spectacle. Pas Julien Chièze, c’est certain, lui qui confie ne plus écrire de critiques, qui se sent profondément indépendant mais qui présente régulièrement des jeux de Square Enix ou Konami lors de salons ou de présentations isolées. Pas JeuxActu non plus, toujours très discrets sur le sujet, sûrement trop occupés à communiquer pour vendre.

Mais qui est indépendant aujourd’hui parmi cette brochette de justiciers de l’intégrité ? Peut-on se prétendre indépendants quand on relaye quotidiennement des communiqués de presse à heures fixes ? Quand on se soumet aux avant-premières opportunistes des éditeurs ? Quand on est soumis aux embargos contractuels qui interdisent d’évoquer des pans entiers d’un scénario ou des mécaniques du jeu ? Quand on croule sous les exemplaires promo envoyés par les distributeurs ? Quand les recettes publicitaires de son support contribuent à le faire survivre et à payer de loyer de ses employés chaque mois ? Quand on fait tout ça à la fois, non. Moi-même, je perds une partie de mon indépendance quand je mets les mains sur Tomb Raider dans un musée et signe une saleté d’accord de confidentialité. Le sympathique Usul la piétine aussi chaque semaine en diffusant ses vidéos sur le plus gros carrefour d’audience du milieu, même quand il moque ses compères en s’inspirant de Pierre Carles, provoquant par la même occasion une amusante réaction de son Directeur Général.

Finalement, beaucoup de bruit pour pas grand chose, car la définition même de l’indépendance est galvaudée dans cette histoire. « État de quelqu’un qui n’est tributaire de personne sur le plan matériel, moral, intellectuel » dit Larousse. Pas besoin d’en dire plus, même s’ils essayent de s’en convaincre, tous ces acteurs en sont très loin. Cette remise en question ambiante depuis le Doritos Gate est probablement un passage obligé vers l’acceptation par le grand public du triangle amoureux éditeur, régie de pub et rédaction. Au lecteur de faire la part des choses ou de s’offrir des lectures alternatives bien choisies. Elles ne manquent pas.

8 commentaires

  1. Et puis surtout, qu’importent les connivences, manque d’indépendance ou « ménage », c’est l’utilisat-eurs-rice final qui a le dernier mot avec son porte-monnaie.

  2. Tout à fait, c’est au lecteur de se faire sa propre opinion parmi tous ces acteurs. De plus, en cherchant bien sur le web, il est possible encore de trouver des sites « indépendants » ou du moins ayant un peu de recul par rapport à tout cela.

  3. Même si il semble évident que les journalistes dans le monde du jeu vidéo ne peuvent pas avoir une indépendance complète, puisqu’ils sont tributaires de leur sujet, que penses-tu quand-même de leur bonne foi, Bastien ? Avoir ton avis la-dessus compléterait peut-être ton point de vue qui m’a laissé sur ma faim.
    Suis-je trop naïf quand je pense que la plupart font ce qu’ils peuvent, en toute bonne foi, pour garder leur distances avec les éditeurs mais qu’ils ne peuvent pas y arriver sans perdre l’accès a leur outil de travail ?

    • C’est difficile à dire car les deux sont un peu liés, fatalement. Je pense que la plupart arrivent à faire la part des choses, mais ceux qui assurent des prestations rémunérées à côté ne peuvent pas être de bonne foi. C’est tout à fait normal, c’est peut-être aussi la raison pour laquelle ils diminuent leur implication dans les articles critiques.

  4. Après comme dit, il y a indépendance et objectivité. Ce qui m’insupporte le plus dans ce milieu, c’est les critiques toujours élogieuses dès qu’un titre AAA sort, avec pas un semblant d’objectivité.

    Je ne sais pas si cette absence de professionnalisme est liée à une dépendance, mais en attendant je préfère lire les blogs de gamers qui s’y connaissent vraiment que les élucubrations de tous ces sites à la sincérité douteuse.

    Mais je crois que je suis hors sujet, non ? J’ai pas toute ma tête en ce moment x)

    • SimCity était un titre AAA (plus encore, un titre Electronic Arts), mais ce dernier n’a pas rencontré le succès critique qu’on aurait pu en escompter, et ce n’est pas le seul.
      Je pense que dans le fond, si quelques sites ayant pignon sur rue font le pas d’être un tantinet plus sévères dans leurs tests, lorsque l’objectivité l’impose, à défaut d’indépendance, on parviendra à conserver une certaine « bonne foi » dans les médias, comme le mentionne Joss, un éditeur ne pouvant se permettre de couper les vivres à la multitude de sites qui plébiscitent habituellement ses créations.

      Après, un test est et restera toujours un billet issu d’une expérience subjective, donc sujette aux influences.

  5. Bon billet qui permet de remettre les choses à plat. Toute cette histoire est bien partie pour durer encore un moment avec d’un côté des lecteurs qui réclament une transparence et une indépendance qu’ils savent pourtant impossible à trouver sur les sites de grands trafics, tout en oubliant que c’est avant tout à eux-mêmes qu’ils doivent une certaine intégrité. Comment ? En allant chercher les « lectures alternatives » du web qui ne manquent pas, comme tu le dis plus haut.

    Et de l’autre côté des rédacteurs/intervenants qui crient à tort et à travers pour se réclamer d’une innocence et d’une indépendance qu’ils n’ont pas et n’auront plus jamais tout en oubliant que ce que le lecteur cherche avant tout à obtenir, c’est une certaine forme d’objectivité. Concept que certains ont, à l’évidence, beaucoup de mal à assimiler tant les news, previews et reviews de certains sites ressemblent plus à des publi-presse qu’autre chose.

    L’hypocrisie ambiante est peut-être le pire travers de toute cette histoire.

    • Je pense que l’histoire en question s’était un peu apaisée ces dernières semaines, c’est aussi l’une des raisons pour laquelle Usul a sorti sa vidéo à cette période. Je pense vraiment que le changement ne viendra pas des journalistes en question mais plutôt des lecteurs. Mais ceux qui lisent ces lignes en ont visiblement conscience, vu qu’ils s’intéressent au sujet ;).

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