Test de Ni no Kuni : La Vengeance de la Sorcière Céleste

Qui d’autre que Level-5, véritable orfèvre du RPG japonais aux choix artistiques incontestables, aurait mérité de travailler en collaboration avec le prestigieux Studio Ghibli ? Depuis quelques années déjà, les équipes d’Akihiro Hino flirtent avec l’animation, de Dragon Quest à Rogue Galaxy en passant par Professeur Layton. Rencontre au sommet avec Ni no Kuni, l’un des derniers héritiers du jeu de rôle japonais traditionnel sur console de salon.


La promesse des œuvres Ghibli est rarement plus prétentieuse qu’une simple invitation à découvrir un univers étrange où s’entremêlent l’ambiance du Japon des années 50 aux mondes fantastiques des légendes les plus enchanteresses. Quoi de plus normal alors, pour cette première collaboration vidéoludique, de recycler les mêmes ressorts scénaristiques, servis avec plus ou moins de saveur depuis trente ans au cinéma ? Ni no Kuni glisse le joueur dans le peau d’Oliver, jeune garçon timide, terriblement seul et inconsolable depuis la mort accidentelle de sa mère. C’est en pleurant à chaudes larmes qu’il ouvrira les portes de l’Autre Monde où la magie, les dragons et sa peluche réincarnée l’accueilleront à bras ouverts. Pour une courte durée, car pour expliquer l’évidence même selon laquelle les habitants des deux mondes sont connectés, l’aventure se fend pendant plusieurs heures de nombreux allers-retours sans réel intérêt sinon celui de ne pas aller trop vite en besogne. En multipliant les tâches ingrates pour les habitants et leur âme-sœur d’ici et d’ailleurs, assisté de l’agaçante magicienne Myrta et de l’arrogant mais amusant Faco, Oliver se mesurera à des entités bien plus cosmiques. Surfant sur les archétypes chers à Hayao Miyazaki, La vengeance de la Sorcière céleste peine réellement à exploiter tout le potentiel de ses choix narratifs, la faute à des dialogues atrocement longs, nombreux, cassant le rythme d’un conte s’étalant au moins sur quarante heures. Pourtant, les petits familiers à collectionner et dresser, les grands espaces, les enchantements et les terribles créatures peuplant ces terres sont une compilation de ce que la culture japonaise a de mieux à offrir. Il faudra s’attacher au caractère et à l’accent gallois de Lumi, aux adorables bouilles des monstres et à la chaleureuse architecture des villes pour enfin être transporté dans ce qui semble être l’alchimie parfaite entre Dragon Quest, Final FantasyRogue Galaxy et Pokémon.

Avoir devant les yeux un jeu vidéo crayonné par le studio de Miyazaki et Takahata est, pour tous les amateurs d’animation japonaise, un rêve de gosse. Non pas que leur patte soit une révolution créative, loin de là, mais le design est maîtrisé, précis, rarement discutable. L’aventure commencée, on déchante rapidement en constatant que les cinématiques dessinées sont finalement peu nombreuses, et qu’il faudra se contenter des graphismes en cel-shading pour la plupart des dialogues et des rares pirouettes scénaristiques. C’est moins spectaculaire, mais le moteur graphique est suffisamment dopé pour afficher une 3D léchée, des animations fluides et des environnements somptueux. Une simple balade  dans les rues d’Al-Mameuh permet de comprendre pourquoi Ni no Kuni a aujourd’hui encore une large avance sur ses concurrents en matière d’ambiance, de PNJ et de richesse visuelle. Et cette carte du monde… Un vrai globe à explorer à pied, en bateau ou à dos de dragon, qui ravira les amateurs de grands espaces. Cette générosité graphique et cette liberté conditionnelle traduisent à merveille toute la poésie qui entoure l’univers du jeu. Bien souvent, on s’arrête pour contempler cette nouvelle zone à l’ambiance si différente de la précédente. La bande originale composée assez naturellement par un Joe Hisaishi en forme contribue aussi au dépaysement, en proposant des mélodies souvent épiques et mystérieuses interprétées par l’orchestre philharmonique de Tokyo. Une réserve, tout de même, sur le thème de combat, loin des envolées que l’on est en droit d’attendre dans une mélodie que l’on entendra des centaines de fois. On préfèrera sans aucun doute la version initiale sur DS, plus lente mais plus harmonieuse.

Après l’austérité politique, dites « bonjour » à l’austérité vidéoludique. Level-5 a fait le choix d’un gameplay d’un autre temps, qui hérite de défauts difficilement pardonnables. Les nombreux combats se déroulent en semi temps réel : le joueur se déplace librement dans l’arène, mais les héros et leurs trois familiers ne peuvent agir qu’une fois leur jauge d’action prête. À la manière de la série Pokémon, chaque bestiole capturée hérite d’un type traduisant des forces et de faiblesses élémentaires. Elles peuvent évoluer sous plusieurs formes à mesure qu’elles gagnent des niveaux, elles ont aussi leur petit caractère à adoucir à grands coups de friandises. C’est dans le feu de l’action que les premières frustrations se font ressentir. Les attaques spéciales, déclenchées grâce à de rares orbes dorées, sont systématiquement annulées si elles surviennent en même temps qu’une attaque ennemie. Contre les boss, c’est particulièrement crispant. La défense et les coups critiques nécessitent eux-aussi un timing pénible à mettre en pratique sans perdre le plaisir de combattre. Et l’I.A ? Agaçante. Du gaspillage de MP aux comportements passifs pendant les affrontements les plus importants, il y a de quoi s’arracher les cheveux. Les Gambits de Final Fantasy XII étaient, en cela, une brillante idée. Le reste du temps, la progression se fait au moyen de nombreuses conversations avec les habitants et d’échanges de sentiments. Dès qu’un autochtone déborde ou manque d’une émotion, Oliver peut agiter sa baguette magique pour cueillir ou passer une dose de courage, d’enthousiasme, d’amour… Les autres sorts tels que Lévitation, Natura Lingua ou Cure de Jouvence, contribuent au bon déroulement de cette longue expédition. Mais n’aurait-il pas été judicieux de conserver la gestuelle des incantations, comme le proposait la version Nintendo DS, pour donner un peu plus d’intérêt au magnifique grimoire accompagnant l’édition collector du jeu ? À une époque où les RPG nippons se font rares sur le sol européen, Ni no Kuni est un bon amuse-gueule. Mais je signerais volontiers pour une suite qui corrigerait toutes ces misères découlant de mauvais choix de game design pour replonger dans cet univers fantastique, un esthétique et sympathique rêve éveillé. Sur PlayStation 4, peut-être ?

8 commentaires

  1. Même si j’ai pesté plusieurs fois contre certains boss et l’annulation de mes attaques spéciales, difficile de résister longtemps au charme de Ni No Kuni. Beaucoup d’émotions dans ce jeu, un peu lent parfois, mais il faut savoir se laisser porter par la magie de ce monde onirique pour aller au bout de l’aventure.

  2. Un test à la conclusion tout à fait logique. J’ai bien apprécié le jeu dans l’ensemble, mais force est de constater que c’est loin d’être le « renouveau du j-rpg » comme on a pu le lire un peu partout sur le net. Je trouve que le culte du studio Ghibli est totalement exagéré en France, déjà quand on connait la personnalité de Miyazaki (qui conchie la technologie et les masturbateurs compulsifs que sont les otakus (sic)), on peut se demander pourquoi on encense toujours leurs films, qui malgré leur qualité, ne sont jamais qu’une goutte dans l’immensité de l’univers de l’animation japonaise. Au final, il y a tellement de meilleurs j-rpgs qui demandent à être joués, par exemple la série des Atelier, les Tales of, la franchise Hyperdimension Neptunia, etc… Mais apparemment la presse préfère les passer sous silence vu l’absence de doritos à la clé.

    • Pas sûr qu’il y ait eu beaucoup de Doritos consommés pour la sortie de Ni no Kuni, quand même :).

  3. Un bon article ! J’ai été très déçu par la réputation qu’a eu le jeu que je n’ai même pas terminé. Je me suis tout simplement ennuyé et je n’arrive pas à comprendre les critiques du jeu à mon avis trop positives. (Certainement à cause de sa bonne réputation).

    Merci pour la lecture. ;))

    • Peut-être que certaines critiques ont été écrites avant que le rédacteur n’ait fini le jeu. Clairement, l’univers est enchanteur, mais après 15 heures de jeu, ça traîne terriblement en longueur.

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