Interview de Chris Bourassa — Darkest Dungeon

Financé sans problème sur Kickstarter il y a un peu plus d’un an, Darkest Dungeon fait cette année ses premiers pas sur Steam dans une version en accès anticipé, que les développeurs de ont eu la gentillesse de me faire parvenir. Il faut bien avouer que je ne suis pas insensible à la promesse d’une aventure pleine de désespoir, à la frontière des genres : jeu de plateau, dungeon crawler, RPG et rogue like. Une raison suffisante pour poser quelques questions à l’adorable Chris Bourassa, directeur de création et co-fondateur de Red Hook Studios, afin de mieux comprendre ses ambitions.


Vous avez lancé en début d’année l’early access de Darkest Dungeon, mais j’imagine que son développement a été long et éprouvant. Combien de temps s’est écoulé entre les premières idées gribouillées sur un brouillon et la sortie du jeu sur Steam ?

La toute première version de Darkest Dungeon est dans un fichier Photoshop daté d’il y a cinq ans, quelque part dans les méandres de mon disque dur. C’est devenu un projet vraiment sérieux il y a trois ans, quand Tyler (Tyler Sigman, co-fondateur du studio, ndlr) et moi nous rencontrions régulièrement. On commençait à évoquer l’idée d’un RPG dans lequel « les héros sont des humains ». Nous avons entamé le développement à plein temps il y a exactement deux ans. Il s’est donc écoulé un an et demi entre le début du projet et le lancement de l’early access en février, et il aura fallu attendre 2 ans et demi de développement avant la sortie officielle, en octobre prochain.

Vous avez financé Darkest Dungeon sur Kickstarter en une journée. Il y a quelques jours, Shenmue III a récolté plus de $3,000,000 en une poignée heures. Quelle est ton sentiment vis-à-vis du crowdfunding, de la relation avec les contributeurs, et surtout l’utilisation qui peut en être faite par les développeurs pas si indépendants que ça ?

Le financement participatif est un phénomène fascinant, et je pense qu’il peut être très positif pour les développeurs comme pour les joueurs. Nombreux sont les jeux de qualité qui n’auraient jamais pu voir le jour sans cette opportunité. Bien souvent, ces jeux sont innovants et créatifs — le crowdfunding peut encourager les créateurs à rester fidèle à leurs concepts, et à ne pas faire de compromis au seul motif que les investisseurs n’acceptent pas tel ou tel petit risque, ou décident qu’il y a trop de ça et pas assez de ci.

Les campagnes de financement lancées par des développeurs ou studios célèbres semblent être de plus en plus courantes, et leur capacité à récolter des sommes colossales peut clairement éclipser les plus petits projets. C’est une évidence. Le financement participatif est une tendance nouvelle, qui évolue rapidement, pour autant, il faut que l’on observe la manière dont tout ça évolue. Je pense que si le montant demandé est raisonnable et que ton projet est séduisant, tu trouveras ton public sans problème.

La relation avec les contributeurs demande pas mal d’investissement, de la transparence, et des mises à jour régulières, pas seulement pendant la campagne, mais tout au long du développement du jeu. Je pense d’ailleurs que beaucoup de gens sous-estiment cet aspect. Mais l’implication de notre communauté dans le processus de développement est très positif. Nous sommes très reconnaissants envers nos contributeurs qui ont permis de faire de Darkest Dungeon ce qu’il est aujourd’hui.

Dungeon crawler, RPG, rogue like… On peut coller plusieurs étiquettes à Darkest Dungeon, mais comment le définirais-tu, et d’où vous est venue l’idée de ce curieux mélange ?

Entre nous, on le définit comme un « dungeon crawler teinté de rogue like au tour par tour focalisé sur l’impact psychologique d’une aventure ». Mais c’est un peu long, alors dans certains shows comme au PAX, j’ai été tenté de le décrire ainsi : « Quand X-COM rencontre Dark Souls, saupoudré par un peu de HP Lovecraft ». Le salon Penny Arcade le définissait comme « le Football Manager de HP Lovecraft », et je pense que ça colle plutôt bien ! (Rires)

Nous voulions créer un simulateur d’héroïsme. Les joueurs sont invités à tirer le meilleur des plus mauvaises situations, à prendre des décisions difficiles avec des informations incomplètes, et de subir les conséquences de toutes leurs actions. Nous avons été inspirés par les tous premiers RPG sur ordinateur, mais aussi les jeux de plateau plus traditionnels.

Darkest Dungeon

Justement, beaucoup de jeux misent aujourd’hui sur la récompense et la découverte de compétences pour garder le joueur captif. Au contraire, dans Darkest Dungeon, on enchaîne les mauvaises surprises et les crises de démence. Faire un jeu difficile, c’était une condition indispensable pour toi ?

Notre parti-pris, depuis le départ, est de faire de Darkest Dungeon un jeu difficile, exigeant, sans compromis et inoubliable.  Nous sentons bien qu’aujourd’hui, la plupart des jeux sont bourrés de séquences héroïques à tout-va. L’héroïsme n’est pas une norme : nous voulions en faire une denrée rare, qui cohabite et contraste avec la souffrance des héros. Nous avons donc conçu une expérience complexe et sans merci, pour que le plaisir de la victoire soit encore plus profond et gratifiant après un si long périple.

La génération des niveaux est aléatoire, comme l’arrivée des nouvelles recrues. Pourtant la progression dans les différentes zones reste assez classique. Comptez-vous ajouter des évènements plus variés dans la version finale pour limiter le sentiment de répétitivité que l’on pourrait ressentir ?

On aime que les joueurs puissent choisir le type, la durée et la difficulté de leur prochaine quête. Le sentiment de répétitivité sera un peu moins ressentie dans la version finale, car toutes les routes mènent indéniablement au Darkest Dungeon. Les joueurs devront accomplir plusieurs quêtes là-bas, pour que l’on puisse définitivement leur octroyer le titre de champion.

Est-il difficile de raconter une histoire et de construire un univers quand aucun héros n’est clairement désigné, et quand les personnages peuvent mourir et être remplacé d’une partie à l’autre ?

Ne créer une histoire qu’avec un joueur et un narrateur est un challenge très intéressant, mais nous avons su tirer profit de cette contrainte en conservant une narration assez vague. L’histoire vacille dans une sorte de zone d’ombre, où vous n’avez jamais une explication très claire des évènements qui s’y déroulent. Je pense que ça renforce réellement l’esthétique du jeu et que ça permet aux joueurs de faire appel à leur imagination. On ne veut pas emprunter le chemin de la plupart des RPG traditionnels où il y a des pages et des pages de récits. Le nôtre est une histoire intime, et je pense que c’est adapté à notre approche horrifique.

Darkest Dungeon

Avez-vous déjà réfléchi à des fonctionnalités multijoueur, comme des combats de boss en arène, ou même un mode collaboratif pour venir à bout des niveaux les plus difficiles ?

Oui ! Nous avons réfléchi à de belles idées concernant les fonctionnalités multijoueur : je pense notamment qu’un mode « joueur contre joueur » serait vraiment cool. Mais c’est le genre de nouveauté qui me semble plus adapté à une extension ou une suite. Ça demande beaucoup de travail, et nous ne voulons pas compromettre les fonctionnalités principales promises à nos contributeurs et aux personnes qui ont acheté l’early accessNous avons une tonne de bonnes idées pour faire mûrir le jeu et son univers, c’est un véritable honneur d’avoir séduit autant de joueurs. Nous allons vraiment réfléchir à tout ça après la sortie de la version 1.0 !

Pour êtes tout à fait honnête, j’ai d’abord été attiré par le jeu non pas par son gameplay, mais par sa direction artistique, qui m’a beaucoup rappelé l’un de mes dessinateurs favoris, Raphael Albukerque (American Vampire). Quelles sont tes principales inspirations, et quelle ambiance voulais-tu confier à votre jeu ?

J’ai consulté beaucoup de gravures médiévales et de manuscrits pour que le jeu se rapproche au plus près de l’époque qu’il décrit : ancienne, sale et dépravée. Il était également important de donner au jeu un esprit plus moderne, je me suis donc inspiré de mes dessinateurs de comic books favoris comme Mike Mignola, Guy Davis et Viktor Kalvachev. L’utilisation généreuse de noirs et de gros contours fonctionne vraiment bien avec l’ambiance que l’on souhaitait donner au jeu.

Les yeux des personnages ne sont volontairement pas représentés : ils semblent vides, comme s’ils n’étaient que de simples âmes perdues et opprimées. Mais assez curieusement, il y a aussi un côté mignon dans les dessins, pour aider les joueurs à s’attacher à leurs héros, et rappeler aux gens qu’il ne s’agit que d’un jeu. (Rires)

La sortie de la version 1.0 est prévue pour le mois d’octobre, pourtant le contenu est déjà riche. Que manque-t-il encore au jeu pour qu’il soit, à vos yeux, représentatif de la version finale ?

Concernant le contenu, il nous reste encore quelques classes de héros à intégrer. Mais la chose la plus importante, c’est l’ajout de deux nouveaux donjons ! The Cove sera disponible en août, et le Darkest Dungeon ne sera accessible qu’à la sortie du jeu. Évidemment, ces deux nouvelles zones incluent de nouveaux monstres, de nouveaux vilains et des pièges, mais le Darkest Dungeon permettra de terminer la campagne. On préfère ne pas trop en dire pour l’instant ! Nous allons également améliorer les interfaces pour faciliter l’expérience des utilisateurs, et faire quelques équilibrages et optimisations, bien entendu.

Pour finir, vous avez évoqué récemment une sortie du jeu sur les consoles PlayStation. Je l’imagine particulièrement bien adapté à la PlayStation Vita !

Oui ! Ça sera tout simplement génial ! La sortie sur PlayStation 4 et PlayStation Vita est confirmée pour octobre, à l’occasion de la sortie de la version 1.0. Sony a été d’un soutien remarquable depuis le premier jour, nous sommes honorés de travailler avec eux !

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