Test de Beyond: Two Souls

Chaque nouvelle production de Quantic Dream est l’occasion de se questionner sur la nature même d’un jeu vidéo et de la proximité de ce média avec l’industrie du cinéma. Un genre amusant, qui a le mérite de jouer avec les codes et les lignes. Séduit par Heavy Rain, j’attendais avec impatience Beyond: Two Souls, connaissant l’attachement de David Cage à l’écriture et la mise en scène. Acheté frénétiquement le jour de sa sortie dans son édition collector, je me suis empressé de plonger dans ce qui devait être l’un des derniers grands jeux de l’année sur PS3. Douche froide.


2 000 pages. Le script du jeu, dans sa version finale, est épais de 2 000 pages. Ça, David Cage s’est fait un plaisir de le répéter, avec l’attitude d’un enfant fier d’avoir bouclé ses lacets tout seul pour la première fois. Ambitieux comme à son habitude, il confiait depuis l’annonce du projet son envie d’avoir la même liberté qu’un scénariste du septième art. Avec une telle assurance, et à en croire la grandiloquence sans retenue des premières bandes annonces, il était facile de tomber dans le piège. Mais derrière ces belles promesses, Beyond déçoit. Pas dans l’interprétation, plutôt juste, grâce à une Ellen Page et un Willem Dafoe très à leur aise dans l’exercice de performance capture. Pas dans la psychologie torturée de Jodie, que l’on aime voir grandir pour le meilleur comme pour le pire en quinze ans de vie. Non, le vrai problème, c’est la narration désordonnée qui place le joueur en situation de spectateur paumé dans la timeline. Il faut attendre la moitié la l’aventure pour entrevoir un début d’explication sur le mystère qui entoure Aiden, entité fantastique et un brin possessive qui accompagne la jeune fille du début aux conclusions. Le pluriel est de rigueur, car le récit propose quelques embranchements dépendant des choix du joueur et de la réussite de certaines QTE. Ce ne sont pas 23 mais 10 épilogues avec de minces variantes qui sont proposés selon les personnages encore en vie et les rares décisions que vous aurez prises aux portes du dénouement. Au final, quelle déception… Certains arcs sont particulièrement intéressants — le chapitre « Navajo », mystérieux, poétique et épique à la fois — d’autres sont trop excessifs pour impliquer le joueur. Commando d’élite, déchet social sans domicile, fugitive, prisonnière de guerre : Jodie collectionne les situations improbables, et malgré la dimension spirituelle et surnaturelle assez convaincante du récit, on n’y croit pas une seconde. Cet excès de pathos permanent et ce manque d’humilité est épuisant.

Et pourtant, le gameplay ne demande pas un effort herculéen. Comme son prédécesseur, Beyond: Two Souls ne requiert qu’un basique sens du rythme et une bonne connaissance de la manette pour réussir ce qui s’apparente à une suite géante de QTE. Si le concept et les interfaces épurées sont directement importés d’Heavy Rain, les combats offrent quand même une nuance supplémentaire. Les yeux rivés sur l’écran, il faut comprendre chaque mouvement pour les accompagner logiquement dans leur dynamique avec le joystick. L’exécution n’est pas évidente au début, mais elle promet une formidable immersion au cours des scènes d’action les plus importantes. L’implication gagne en intensité à deux, pourtant le mode coopératif a généralement été passé sous silence. Avec l’ambition de rendre accessible son jeu à tous, l’application iOS et Android Beyond Touch permet à un second joueur de prendre le contrôle de Jodie ou d’Aiden. Les déplacements sont limités, les interactions parfois approximatives, mais pouvoir suivre l’enquête en couple, comme on le ferait devant une série télévisée, est plaisant. Seul point noir : à trop vouloir simplifier le challenge, la difficulté en devient quasi-nulle, renforçant cette désagréable sensation de passivité permanente.

Si la narration et le gameplay sont discutables, la qualité des graphismes est indéniable. Dans un jeu où les sentiments et les liens qui unissent les personnages sont au cœur de l’intrigue, pouvoir apprécier chaque détail des visages est vraiment grisant. Les pores de la peau, les expressions et les textures sont au poil. Après la gifle The Last of Us par Naughty Dog, Quantic Dream frappe donc très fort en tirant à bout de bras toutes les tripes de la PS3. Un peu trop d’ailleurs, car l’aliasing est un peu gênant dans certains intérieurs et les ralentissements trop nombreux pour être excusés. Une partie des baisses de framerate survient alors qu’on est littéralement enfermé, à mille lieues de la liberté offerte dans un jeu open-world plus gourmand en ressources. Plus personnellement, j’ai été confronté à des freeze de deux à trois secondes très pénibles, inquiétants même. Passés ces désagréments, il faut admettre que les animations, le doublage et la mise en scène sont bluffants. Sur ces trois aspects, le jeu parvient enfin à flirter avec le cinéma. On en vient à se demander si, tout simplement, David Cage n’aurait pas mieux fait de produire un long-métrage à choix multiples plutôt qu’un anti-jeu qui laisse le joueur sur le banc de touche. Si telles sont ses ambitions, qu’il fasse le pas, travaille son script et s’affranchisse de ce qu’il ne maîtrise plus : le game design.

2 commentaires

  1. Bonjour Bastien, j’ai lu avec attention ta critique, et je la trouve juste. Et respectable.

    Cependant, pour ma part, je ne suis pas d’accord sur un point. Le timeline. Car en effet, la structure narrative est décomposée, mais lors des chargements de chapitre si nous sommes attentif, on arrive à se situer. Mais encore faut-il être attentif, et surtout jouer sans pause longue (exemple, jouer un jour, puis y revenir une semaine après, voir quelques jours).

    Il y aussi, les phases « épiques » ou Jodie est en situation, que tu nomme « excessif ». Personnellement, je l’aurais mal vu fuir.. facilement. En effet ce n’est qu’une enfant sous le couvent du docteur. Elle ne gagne rien.. et n’est que du début, à la fin qu’un rat de laboratoire.
    S P O I L
    Je trouve que la fin, aurait du être celle que tout le monde attendais.. Que Jodie meure. Mais elle n’aurait était que cohérente, que si cette maudite fin.. Bonus n’aurait jamais existé.
    FIN DU SPOIL

    Concernant le fait que ce soit un film bien plus qu’un jeu.. Ma foi. Ça, moi qui suivait de très près ce jeu je le savais, tout simplement car nous n’avons pas affaire à un jeu comme Heavy Rain ou le script est là mais les doubleurs passent uniquement qu’en studio. Là les scènes sont jouée, et forcément.. La place à tout ce qui est gameplay est.. Presque nulle.

    Pour moi Aiden est le gros point noir. Le personnage le plus.. Mis à l’écart. Ses sentiments ne sont pas souvent explicites, piochant dans la colère permanente. Il est capable de détruire des portes et j’en passe, mais nullement capable de défendre Jodie de certains danger plus important. Puis.. Quel dommage, de ne pas en apprendre un poil plus le concernant. Comment as t-il fait? D’où proviennent réellement, et qu’elle est la source des pouvoirs de Jodie..

    Pleins de mystères, qui peuvent être résolu avec une suite. Suite.. si jamais il y a.

    Merci de m’avoir lu, passe de bonne fêtes, prend soin de toi c’est important.
    Bises

    _Angel_

  2. Bonne critique comme toujours, cependant l’aspect désordonné de la timeline ne m’a pas plus dérangé que ça et concernant les « freeze », j’ai eu la chance d’y échapper donc pas de problème de ce côté-là. En revanche on n’est nettement moins « libre » que dans Heavy Rain et c’est plutôt cet aspect-ci qui m’a gêné sinon je me suis quand même bien éclaté sur ce jeu et c’est le principal après tout.

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